
Alan, symbole d’une réforme qui divise la fonction publique
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Le ministère de l’Économie et des Finances s’apprêterait à confier à Alan la couverture santé de ses 134 000 agents, auxquels s’ajoutent 84.000 ayants-droits, 120.000 retraités et leurs 36.000 ayants-droit. Derrière cette décision, c’est une orientation stratégique qui se confirme, celle d’un État qui assume de privilégier des opérateurs technologiques pour incarner sa réforme de la protection sociale complémentaire. Ce virage, jugé brutal par les mutuelles historiques, illustre une volonté de rupture avec les équilibres hérités de l’administration d’après-guerre.
L’appel d’offres lancé par Bercy s’inscrit dans le cadre de la réforme de la PSC, qui vise à généraliser la couverture santé et prévoyance dans la fonction publique selon des règles comparables à celles du secteur privé. Il introduit une logique de mise en concurrence structurée, sur la base de critères de performance, d’accessibilité et de coût. À ce titre, Alan, déjà attributaire des contrats des ministères de la Transition écologique et des services du Premier ministre, consolide sa position comme partenaire du changement.
La désignation de ce nouvel acteur, centré sur un modèle 100 % numérique, peut être interprétée comme une réponse aux attentes de rationalisation, de fluidité et de simplification des démarches. Elle reflète également un arbitrage en faveur de solutions jugées plus compétitives, en particulier sur les frais de gestion et la modularité des offres. Pour le gouvernement, cette approche s’inscrit dans un effort plus large de transformation de l’action publique, à la fois dans ses outils et dans sa culture de gestion.
Ce choix suscite toutefois une vive opposition. Les représentants syndicaux estiment que cette décision affaiblit les fondements des accords interministériels signés en 2022 sur la PSC. Certains y voient une rupture politique, qui contourne les logiques de co-construction sociale. Le recours à une entreprise encore déficitaire, dont le modèle repose sur une croissance soutenue par les marchés financiers, alimente des inquiétudes sur la pérennité du service et la capacité à assumer des engagements de long terme.
Pour la CGT ETAT, il s’agit même d’ « une décision politique visant à conforter le modèle économique d’ALAN, et cette entreprise en particulier, afin de lui permettre d’atteindre ses objectifs déclarés. »
La MGEFI, mutuelle historiquement liée à Bercy, s’est vu devancer sur plusieurs critères de l’appel d’offres, notamment ceux liés au prix, à l’accompagnement et à la prévention. Ces résultats interrogent, dans la mesure où le prestataire sortant disposait d’un réseau territorial dense et d’une expérience de plusieurs décennies dans le suivi des agents publics. L’absence de transparence complète sur la pondération des critères alimente, chez certains, le sentiment d’une notation orientée vers un résultat attendu.
Les critiques ne portent pas uniquement sur le fond, mais aussi sur le sens donné à cette réforme. L’entrée d’acteurs issus de la tech dans le domaine historiquement mutualiste de la fonction publique bouleverse les repères. Elle confronte deux logiques : celle de la solidarité professionnelle organisée autour d’un ancrage humain et territorial, et celle d’un service standardisé, digitalisé, piloté par la donnée et l’expérience utilisateur.
Dans les ministères, cette recomposition crée des lignes de tension. La question de l’adhésion obligatoire, validée par l’accord interne de Bercy en 2024, rend la décision d’autant plus structurante. En cas de contestation juridique, évoquée par notamment par le syndicat CGT Etat, c’est la robustesse du processus d’attribution lui-même qui pourrait être réexaminée.
Plus qu’un simple appel d’offres, ce contrat illustre un moment de bascule avec l’entrée assumée de l’État dans une gestion plus entrepreneuriale de sa protection sociale, avec les risques, les tensions et les effets d’aubaine que cela peut engendrer. Le prochain marché à conquérir, celui du ministère de l’Éducation nationale, dira si cette tendance relève de l’expérimentation ou d’une stratégie durable.