
Souveraineté, énergie, IA, pourquoi l’Arabie saoudite mise tout sur les datacenters
À Riyad, l’objectif de faire de l’Arabie saoudite une puissance technologique autonome, capable de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle est nourri d’une succession de grands projets. Dernier jalon en date, le lancement de la société Humain, adossée au fonds souverain saoudien (PIF), et la signature d’un partenariat stratégique avec les géants américains Nvidia et AMD pour un projet estimé à 10 milliards de dollars.
Cette ambition technologique repose sur la disponibilité massive d’énergie bon marché, nécessaire à l’essor des centres de données.
L’infrastructure avant les usages
Avec Humain, Riyad entend bâtir une capacité de 1,9 gigawatt de data centers d’ici 2030, soit l’équivalent énergétique de certains opérateurs cloud mondiaux. À titre de comparaison, la France en comptait à peine 0,5 GW installés en 2023. Ces infrastructures seront qualifiées par Nvidia de véritables « AI factories », alimentées par plusieurs centaines de milliers de processeurs Grace Blackwell sur cinq ans.
La priorité saoudienne n’est donc pas d’abord logicielle. Il s’agit de poser les fondations physiques d’une autonomie future dans l’intelligence artificielle : puissance de calcul, réseau, capacité de stockage localisée. Les usages (LLMs arabophones, services IA souverains, cloud régional) viendront ensuite.
Le levier énergétique comme avantage comparatif
L’intelligence artificielle est énergivore. Les grands modèles de langage nécessitent plusieurs mégawatts pour leur entraînement, et les services d’inférence consomment de manière continue. Dans ce contexte, l’énergie devient une variable stratégique.
L’Arabie saoudite, grâce à ses ressources en hydrocarbures et à son développement de la production solaire à bas coût, peut proposer un prix du kilowattheure largement inférieur à la moyenne mondiale. Cette abondance énergétique constitue un levier de compétitivité non négligeable pour attirer les acteurs du cloud, comme en témoignent les projets déjà annoncés par Amazon (10 milliards de dollars), Google et Oracle.
Souveraineté numérique et contrainte réglementaire
Au-delà de l’énergie, c’est la question de la localisation des données qui renforce l’attractivité du royaume. Depuis 2023, Riyad impose le stockage local des données personnelles et financières pour les opérateurs étrangers souhaitant répondre aux marchés publics. Cette politique incitative oblige les grandes entreprises technologiques à implanter des infrastructures directement sur le sol saoudien, sous peine d’exclusion des appels d’offres.
Dans cette optique, la construction d’un cloud national ne relève pas uniquement de l’autonomie technologique, mais aussi d’une volonté de contrôle stratégique de l’information sur le territoire.
L’IA comme nouveau pilier de l’après-pétrole
Ce projet s’inscrit dans la continuité de Vision 2030, le plan de diversification économique porté par Mohammed ben Salmane. Après le tourisme, la finance et les énergies renouvelables, l’intelligence artificielle devient un axe de développement à part entière.
Plutôt que de miser sur des startups ou des champions logiciels locaux encore en émergence, le royaume préfère capitaliser sur son poids capitalistique et énergétique pour devenir un acteur incontournable de l’infrastructure IA, au croisement des routes commerciales entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Une stratégie par l’infrastructure
L’approche saoudienne repose sur un postulat simple : celui qui maîtrise la puissance de calcul contrôle la capacité d’entraînement des modèles, donc leur souveraineté. Dans cette perspective, les datacenters ne sont plus de simples infrastructures techniques, mais des actifs stratégiques au cœur des rapports de puissance. En misant sur ce socle matériel, l’Arabie saoudite fait le choix d’une puissance silencieuse, fondée sur la maîtrise de l’infrastructure plutôt que sur la mise en avant technologique — un positionnement en continuité avec sa tradition d’influence fondée sur la stabilité, l’endurance et le contrôle des ressources critiques.